La philosophie de la nature d'Olivier Costa de Beauregard

par FRANÇOIS BOITEL
Docteur en paléontologie (Sciences de la Terre)
Docteur ès lettres et Sciences Humaines

La philosophie de la nature d’Oliver Costa de Beauregard trouve son expression quasi définitive, en tout cas jamais infirmée par la suite, dans son livre Le Second principe de la science du temps et en particulier au paragraphe 12 du chapitre III jusqu’à la fin de la conclusion, paragraphe 7. Cette philosophie de la nature, discutée à plusieurs reprises dans les milieux philosophiques les plus éminents, tels que la Société Française de Philosophie (voir en particulier les séances du 25 février 1961 et du 27 novembre 1976) pourrait se « résumer » par Olivier Costa de Beauregard lui-même en cette phrase hautement significative : « nous préférons (et de beaucoup) réserver la possibilité d’intervention  du psychisme à l’intérieur des lois physiques bien établies plutôt qu’à leur extérieur… » (p. 93 du Second Principe de la science du temps, 1963). Lire la suite


- Un problème brûlant : le paradoxe des corrélations à distance d’Einstein - « Diogène » n° 110, revue trimestrielle sous les auspices du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines, Gallimard, avril-juin 1980.
- De la lecture du grand livre du monde : réflexions d’un physicien sur les enjeux de la mécanique quantique et de la relativité – colloque « Science et perspective de l’homme, le relatif et l’absolu », à Rome, 2-6 septembre 1986, in « Revue des questions scientifiques » tome 159, n° 1-2, 1988, pp. 81-107
- Bergson’s duration and quantal spacetime non-separability - « Bergson and modern thought, towards a unified science » colloque, Galveston (Texas),  février 1984, ed. Par A.C. Papanicolaou et P.A.Y. Gunter ; Chur (Suisse), Harwood academic pub., 1987, pp. 318-342


(Suite) Philosophiquement parlant, Costa de Beauregard restera fidèle à cette conception selon laquelle « depuis l’avènement de la physique relativiste, il est devenu strictement interdit de poser le problème des rapports entre psychisme et cosmos "dans l’espace à un instant donné" (expression dénuée de sens covariant) et donc obligatoirement de poser ce problème en termes d’espace-temps quadridimensionnel. Autrement dit, il est impossible d’échapper à la conclusion que, dans la mesure où il est en interaction  avec la matière, le psychisme est coextensif à l’espace-temps » (p.123 du Second Principe).

Dès lors, tout l’effort philosophique pour concevoir la « nature » dans sa spécificité et dans sa totalité consistera à la considérer comme « déployée » sur les quatre axes de l’espace-temps, celui de la Relativité restreinte. Dans un tel univers le statut épistémologique de la causalité efficiente se comprend tout aussi aisément que celui de la causalité finale et l’information, sous ses deux aspects, acquisition de connaissances et pouvoir d’organisation, circule « librement », qu’elle soit matérielle, biologique ou psychique.

Bergson and modern scienceLa philosophie bergsonienne de l’Evolution Créatrice, que Costa de Beauregard a longuement méditée, s’en trouve quelque peu modifiée : « Nous estimons qu’en fait Bergson va beaucoup trop loin quand il nie l’existence à la fois du possible et du futur »  ( p. 131 du Second Principe). Dès lors on achopperait sur un nouveau paradoxe si le « jaillissement de nouveauté continue », « l’invention », la « durée réelle » de l’Evolution devait uniquement se comprendre dans un monde déployé du « tout est écrit » (p. 109 du Second Principe). Suivant alors Emile Boutroux en reconnaissant « la contingence des lois de la nature » (pp. 128 et 129 du Second Principe), la philosophie de la nature de Costa de Beauregard autorise dès lors les « apports d’information » au sein du cosmos et du vivant (« un cheminement possible extra cosmique de la néguentropie, sous forme potentielle d’information » p. 91 et 139 du Second Principe), ce que, parallèlement, le biologiste Pierre-Paul Grassé développera dans ses travaux sur l’Evolution.

Parmi les philosophes de la biologie et les biologistes que cite Costa de Beauregard, Raymond Ruyer, Paul Vignon, Lucien Cuénot, Louis Lapicque (p. 15 et p. 120 du Second Principe) ont assurément une place de choix, et non seulement leurs conceptions se rattachent à celle de Bergson, mais également à celle du mathématicien et philosophe de l’Evolution Edouard Le Roy, qui fonde toute sa vue du problème de l’Evolution sur le fait que « la pensée est ingénérable ». Costa de Beauregard, qui m’a dit avoir suivi les cours d’Edouard Le Roy au Collège de France, et qu’il cite explicitement page 76 de son livre Le Corps subtil du réel éclaté (1996), doit certainement beaucoup à ce penseur et rejoint, par là même, les conceptions du paléontologue Jean Piveteau qui, jusqu’à la fin de sa vie, resta fidèle à la conception de l’Evolution selon Edouard Le Roy.

Un dernier point très important pour saisir dans toute son ampleur la philosophie de la nature de Costa de Beauregard serait de considérer un livre qu’il a beaucoup médité : La teoria unitaria del mondo fisico e biologico (Rome, 1944) du physicien Luigi Fantappie. Le problème des « ondes retardées » et des « ondes avancées » (pp. 27, 28, 35 et 91 du Second Principe), lié à « la prise en considération du coefficient réciproque de l’information en néguentropie », sans faire l’unanimité des physiciens, rend cependant compte d’une vue du monde parfaitement concevable rationnellement, ce que n’a pas manqué de relever l’épistémologue de l’Evolution François Meyer (Problématique de l’Evolution, P.U.F., 1954). Loin, donc, de refermer l’épistémologie de la physique sur elle-même, Costa de Beauregard, suivant une perspective parallèle à celle de Léon Brillouin, ouvre des horizons nouveaux, non encore épuisés, pour une philosophie de la nature toujours plus large.

La dernière partie de La Notion de temps, quant à elle, est consacrée aux : « problèmes périphériques de la théorie de la Relativité générale » : Costa de Beauregard s’y intéresse essentiellement d’une manière assez technique à partir des travaux de l’équipe d’André Lichnerowicz, Yvonne Choquet-Bruhat, Eliane Blancheton, et de Marie-Antoinette Tonnelat, pour ne citer que quelques Français. Costa de Beauregard n’y revient pas dans le Second Principe qui fait suite à La Notion de temps, et il n’y reviendra pas. En quoi la Relativité Générale aurait-elle « complété »  sa « philosophie » de la nature ? Estimait-il que le « bloc spatio-temporel » n’en était pas pour autant fondamentalement changé par rapport à la « philosophie » de l’espace-temps selon Minkowski et Hermann Weyl à laquelle il se rattachait volontairement ? Costa de Beauregard se plaisait à citer Arthur Eddington (p. 104-105 du Second Principe) qui, devant les problèmes redoutables du Cosmos, écrivait avec humour : « Ne me demandez pas si je crois réellement, ou si j’attends de vous que vous croyiez, que tout ceci arrivera »… (Nouveaux sentiers de la Science, p. 80) et Eddington ajoutait (p. 81) : « Logic is  logic. That’s all I say » : « La logique est logique. Et voilà tout » (traduction P. Guérard, 1936, Hermann et Cie éditeurs). C’est dans cette perspective qu’il  faut considérer l’intérêt qu’Olivier Costa de Beauregard avait pour les phénomènes dits « paranormaux ». En effet, le problème du « paranormal » chez Costa de Beauregard est beaucoup plus déduit de sa réflexion épistémologique sur l’espace-temps quadridimensionnel (comme il l’écrit explicitement à plusieurs reprises, notamment p. 81 de La Physique moderne et les pouvoirs de l’esprit et p. 70 de Le Corps subtil du réel éclaté) qu’induit à partir de considérations sur les êtres vivants eux-mêmes, êtres vivants qu’il percevait essentiellement à travers les problèmes généraux de L’Evolution créatrice et non grâce à une étude étho-écologique rigoureuse des communications animales et humaines, bien qu’il s’y intéressât vivement. Dès lors, le biologiste et le paléontologue resteront toujours sur la réserve pour considérer « scientifiquement » les déductions que Costa de Beauregard tirait de l’univers relativiste pour appuyer la « réalité de la parapsychologie » : il leur semblera que le « saut » est trop grand entre la matière et le psychisme « en état paranormal » si l’on n’étudie pas la vie et ses processus dans toute leur progression depuis plus de trois milliards d’années.

Costa de Beauregard en convenait lui-même et c’est pourquoi, pendant plusieurs années, il entretint des relations scientifiques et cordiales avec le  professeur Edouard Boureau, membre de l’Académie des Sciences, paléobotaniste, spécialiste des origines de la vie. Mais cet échange entre les deux hommes de science, qui étaient en accord sur le fonds de la problématique, ne put, faute de temps, déboucher sur la synthèse cohérente tant attendue. Costa de Beauregard dut se contenter de manifester seulement sa curiosité bienveillante à l’égard des investigations conduites en général par des physiciens comme Russell Targ et Harold Puthoff, ou B.J. Dunne, et R.G. Jahn. La sympathie réciproque qui unissait Costa de Beauregard et le biologiste Rémy Chauvin s’explique aisément dans ce cadre-là. A propos de la « parapsychologie », un philosophe contemporain, Hervé Barreau, qui a bien connu Costa de Beauregard, nous a écrit récemment « Tout ce que je puis dire à ce sujet, c’est qu’Olivier Costa de Beauregard, qui était persuadé de ces dons  « paranormaux », ne s’y est pas intéressé vraiment. Il a seulement, me semble-t-il, pris compte de leur existence, qui convenait à sa philosophie de la nature ». N’est-ce pas ce que Costa de Beauregard appelait lui-même le « Mariage de raison avec la parapsychologie » dès sa première publication à ce sujet en 1973 lors d’un colloque de l’Académie Internationale de Philosophie des Sciences intitulé « Science et Métaphysique » (éd. Beauchesne, 1976) ?

Février 2010

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